Afghan Literature II
Voix du monde
Littérature afghane
Khaled Hosseini et Atiq Rahimi
Atiq Rahimi, né le 26 février 1962 à Kaboul, Afghanistan.
Après avoir demandé l' asile politique en France, accordé en 1985, il obtient son doctorat en audiovisuel à la Sorbonne.
En 1989, son frère, communiste, resté en Afghanistan, est assassiné, mais Atiq Rahimi n'apprend sa mort qu'un an plus tard.
Son premier long-métrage, Terre et cendres, coécrit avec le cinéaste iranien Kambuzia Partovi présenté dans la section « Un certain regard » au Festival de Cannes 2004, a obtenu le prix Regard vers l'avenir.
Contrairement à ses trois premiers romans écrits en persan, Syngué sabour. Pierre de patience est directement écrit en français : « Il me fallait une autre langue que la mienne pour parler des tabous. » Il est récompensé par le prix Goncourt le 10 novembre 2008.
En 2011, il adapte avec l'écrivain et scénariste français Jean-Claude Carrière son roman Syngué sabour. Pierre de patience pour le cinéma. Ce film, dont il est également le réalisateur, est sorti le 20 février 2013.
Il définit ainsi sa croyance religieuse : « Je suis bouddhiste parce que j'ai conscience de ma faiblesse, je suis chrétien parce que j'avoue ma faiblesse, je suis juif parce que je me moque de ma faiblesse, je suis musulman parce que je condamne ma faiblesse, je suis athée si Dieu est tout puissant. »
Syngué sabour
Pierre de Patience
de
Atiq Rahimi
Un temps on tire,
Un temps on prie,
Un temps on se tait.
Un tour de chapelet.
" Al-Qahhâr…
Dieu, fais qu’il revienne à la vie !
Il s’est battu longtemps en ton nom.
Pour le Djihad ! "
Montre-nous que tu existes, fais qu’il revienne à la vie ! »
Le soleil se couche.
Les armes se réveillent.
Ce soir encore on détruit.
Ce soir encore on tue.
Les souffles ont leurs cadences habituelles.
La bouche est toujours entrouverte.
L’air est toujours moqueur.
Les yeux sont vides, sans âme.
Le matin il pleut.
Il pleut sur Kaboul et ses ruines.
Il pleut sur les corps et leurs plaies.
" Comme toi, comme tes semblables…
comme ceux qui avaient décapité toute la famille voisine !
Oui j’appartenais à votre camp.
C’était terrifiant d’en arriver à une telle conclusion.
J’ai pleuré toute la nuit."
Son regard s’accroche à la poche vide de la perfusion.
Sa silhouette se profile sur les oiseaux migrateurs
figés dans leur élan sur le ciel jaune et bleu.
Le rideau de vertu.
Dans ce roman Atiq Rahimi place son lecteur face à l’arbre de vie, sa plume est le symbole d’une puissance ascensionnelle, la force de la parole qui libère la femme afghane de son monde. Tel un paon qui déploie sa queue en roue universelle, l’auteur évente la multitude des reflets intérieurs, pupilles colorées d’une femme condamnée aux bruissements des mots chuchotés derrière la vitre, les derniers souffles exhalés d’une lampe tempête, des reflets bleu vert qui s’animent dans l’ombre flottante de la mort, un récit libératoire, transmutation spontanée des secrets interdits, abandonnant ce qui n’est plus salutaire pour Elle, pour atteindre enfin, la manifestation d’une révélation éclatante dans une plénitude mortelle.
Ainsi le déploiement cosmique de l’Esprit, passe par la mort de soi dans le miroir de l’Essence divine, pour se réveiller ressuscité, consterné par les attraits moraux et sociaux d’une philosophie primaire où le cœur ne se reconnaît pas. Cette dualité des contraires souvent vénérée durant la période préislamique, où les religions des tribus poly-démones adoraient des pierres et des météorites dans le désert donnant ainsi un pouvoir spirituel à des matières considérées inertes et sans vie par la science d’aujourd’hui.
Dans ce roman audacieux pour la première fois, le corps d’un homme afghan éteint, troué d’une balle dans la nuque, écoute tous les malheurs, toutes les misères inavouées de sa femme à la lueur grise d’une aurore indécise, « pierre de patience » soumise à sa respiration silencieuse pondérée en attente de la délivrance explosive.
Lui, un homme, un Héros sanguinaire au corps malhabile, à la présence vide, parti pour cette guerre de religion fratricide, absurde, et revenu prétentieux, arrogant, violent ! Un homme qui ne connaissait rien de l’amour maternel, un homme qui ne savait pas aimer, qui n’avait jamais rien su donner, alors il faisait la guerre. Il avait toujours été économe de ses gestes affectifs comme de ses joies, peut-être victime d’une éducation agnatique où tout était mesuré par l’égocentrisme du maître à servir.
Elle, elle avait attendu l’homme pendant trois années de fiançailles chez sa mère, cette cruauté de l’absence prônée par les traditions vernaculaires, puis la nuit de noces, où il n’y arrivait pas…plus tard, elle se réjouissait quand il éjaculait pendant qu’elle le subissait. A cet instant là, Elle était plus une femme par les choses qu’elle taisait que par les choses qu’elle disait.
Maintenant elle allait tout lui dire, toutes les blessures enfouies en elle et dont elle n’avait jamais osé parler à personne. Ce n’était pas l’étroitesse du monde qui importait mais l’écho qu’il éveillait en elle.
«Tout te dire à toi, là, je me suis aperçue qu’en effet, depuis que tu étais malade, depuis que je te parlais, que je m’énervais contre toi, que je t’insultais, que je te disais tout ce que j’avais gardé sur le cœur et que toi, tu ne pouvais rien me répondre, que tu ne pouvais rien faire contre moi …Tout ça me réconfortait, m’apaisait. Donc, si je me sens soulagée, délivrée … et ça malgré le malheur qui nous gifle à chaque instant, c’est grâce à mes secrets, grâce à toi, je ne suis pas une démone ! »
Le lecteur découvre la sensation tendue de la duplicité de la tempérance tout au long du récit. Elle continue inlassablement à prendre soin de Lui. La plume de paon, marque-page, insérée dans le Coran, elle égraine son chapelet. Elle règle le goutte à goutte, Elle enfonce le tube dans sa gorge, elle le lave, elle se love contre lui, et accorde sa respiration à la sienne. Elle est heureuse et malheureuse à la fois, le déchirement intérieur des humiliations passées, des blessures affectives, des orages de dénégation de soi, l’amertume sombre qui la ronge, le passé infernal qui la poursuit et l' accuse, les regrets inextinguibles, le tawaaf des questions qui ne la quitte plus. Cette culpabilité qu’elle avait en elle, s’évapore dans des éclats de rires ironiques.
« Trois hommes hurlants se jettent à l’intérieur de la maison. « Que personne ne bouge ! » Et rien ne bouge. Les trois ont la tête et le visage dissimulés par un turban noir. Un des trois se penche ver lui, « merde, il a un tube dans la bouche ! » et le retire , « Où est ton arme ? » hurle-t-il. « Il est foutu » conclut le deuxième en se baissant pour lui enlever sa montre et son alliance en or. Celui qui reste soulève le drap avec le canon de son fusil pour découvrir le corps de l’homme. Troublé par cette atonie et ce mutisme, il lui enfonce le talon de sa botte dans la poitrine. Après avoir respiré profondément, plein de colère, il l’attrape par le col et le soulève. Le visage blafard et hagard de l’homme l’effraye. L’homme à la torche aperçoit le Coran par terre, se précipite dessus, le saisit, se prosterne, embrasse le livre tout en priant derrière le pan de son ruban. « C’est un bon musulman ! » s’exclame-t-il. Celui qui tient la torche recouvre le gisant avec le drap, il lui remet le tube dans la bouche, et fait signe aux deux autres de partir. Ils s’en vont. Avec le Coran. »
L’absence des écrits du Livre laisse la pièce dans un grand silence d’abandon. " Dieu, fais qu'il revienne à la vie ! Sa voix devient grave, et toi ? Tu le laisses comme ça ?! Et ses enfants ? et moi ? Tu ne peux pas, non tu n'as pas le droit de nous laisser comme ça ?! Sans homme ! Montre-nous que tu existes, fais qu'il revienne à la vie ! Si je pense que Dieu est mon père, s’il aime ses enfants comment peut-il laisser faire toutes ses souffrances ?" Mais dans quel camp Dieu se trouvait-il ?
L’avènement de la conscience est sans aucun doute le plus interpellant des dons que certaines philosophies nous enseignent. En se détachant de Dieu, en devenant pleinement responsable de sa destinée, l’Homme accède à la dimension symbolique, c’est-à-dire à la signification et à la valeur identitaire, mais aussi à la séparation et à l’ambivalence d’une responsabilité liée au libre arbitre. Loin d’être un malheur imposé, cette révélation est peut-être la pré-figuration de l’Apocalypse naissante, métamorphose de l’évolution d’un monde.
Mais tout est question de regard, la pierre de patience, lui, comme la plume de paon, elle, sont de couleur noir permettant l’absorption complète du spectre lumineux. Lorsque la plume est éclairée, par le chemin des rayons lumineux sur ses micro-lamelles, elle émet une couleur.
Si deux radiations lumineuses de même couleur sont émises, elles s’annulent, et diffusent une couleur complémentaire. Il en est ainsi du dialogue entre l'homme et la femme. La couleur qui apparaît à nos yeux de lecteur, dépendra de l’écartement entre les micro-lamelles et l’ordre de la longueur d’onde, soit quelques dixièmes de microns selon la distance que vous attacherez aux mots.
Il reste à chaque lecteur de mouvoir son corps et de choisir son angle de vision pour que jaillissent les couleurs existentielles de l’esprit.
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« Ce récit, écrit à la mémoire de N.A poétesse afghane sauvagement assassinée
par son mari est dédié à M.D. Quelque part en Afghanistan ou ailleurs » © Atiq Rahimi
A bientôt .... See you soon.
Atiq Rahimi sur le tournage du film
L'avènement de la conscience en afghanistan.
Envoyé spécial reportage Nassima une vie confisquée I et II en 2006
Un autre point de vue Femmes afghanes durant les années 1970